Utiliser le terme de magie en apposition avec Jérusalem, cette ville vers laquelle tant de croyants se tournent pour prier, et qui voit converger toutes nos aspirations religieuses et donc aussi nos contentieux est infiniment pauvre.
Un programme intitulé : « Pour l’amour de Jérusalem » sur France 3 montrait de nombreuses prises de vue de la ville, toutes magnifiques. Ces images éclairent notre cœur le temps de leur réception sur nos rétines et nous font rêver à la paix pour cette ville qui la porte en son nom. La caméra prend ensuite la route pour Bethléem, en passant inévitablement par les check point et le mur, posé comme une verrue sur une vision par ailleurs irénique. Il y a d’autres murs dans le monde qui séparent des peuples ou des personnes sans qu’on les évoque en cette période de fêtes. Évidemment ils ne sont pas plantés au cœur même de nos religions respectives qui toutes parlent d’amour, ils ne nous touchent pas de la même manière. Qui peut dire qu’il ne souhaite pas que ce mur tombe et que tombe avec lui les raisons graves qui ont poussé à sa construction.
Le reportage montre surtout des faits saillants et un peu dérisoires par rapport à l’importance du sujet. La présence arménienne à Jérusalem est traitée par le prisme d’un céramiste artisan de grand talent, les pèlerinages de chrétiens coptes sont évoqués en raison de leur désir de se faire tatouer une croix sur l’avant-bras dans la vieille ville. On ne dira rien de la spiritualité juive, à part les habituels hommes en caftans et chapeaux noirs et la célébration du chabbat dans une famille où plusieurs générations se côtoient. Une jeune femme explique au micro que le chabbat est un moment important, le début des « vacances »… . Sans doute cherchait-elle le mot juste, elle ne l’a pas trouvé et le reporter n’a pas choisi de montrer autre chose. J’imagine aussi qu’il n’est pas simple de trouver un rabbin israélien qui s’exprimerait sur le sens profond du chabbat, malheureusement une forme de méfiance est maintenant courante, on préfère s’abstenir que de participer aux tourbillons de paroles syncopées.
Pendant les quelques minutes dédiées à l’Église du Saint-Sépulcre nous apprenons que les clés sont détenues par deux familles musulmanes, un bienfait car il évite de déterminer à qui d’autre il faudrait les donner. L’église Hébréophone de Jérusalem n’est pas évoquée, elle est pourtant une réalité nouvelle et importante. La messe de Noël y a été célébrée en Hébreu devant de nombreux fidèles et quelques Juifs venus par amitié, un geste que de nombreux Chrétiens pratiquent maintenant en France en se rendant à la synagogue lors des grandes fêtes juives.
Pour nous qui avons l’habitude du dialogue, ce genre de reportage est indigent. Il ne permet pas d’aller au-delà de l’image, de dépasser le cloisonnement apparent qu’on y trouve. En fait tout se passe comme si nous regardions un album photo, chaque page montrant une religion. Rien ne pointe même de loin le lien unique entre Juifs et Chrétiens qui malgré la rupture des origines émerge depuis Vatican II et fait maintenant que nous sentions les joies et les souffrances des uns et des autres. Pourtant à Jérusalem et ailleurs la population partage aussi la vie, qui forcément les met en présence toutes appartenances religieuses confondues. Dans les universités, on étudie ensemble, dans les hôpitaux, tout le monde est soigné.
D’autres émissions ont bien sûr permis d’entendre des experts de disciplines différentes parler de la place des religions dans l’art, de l’herméneutique des textes, de l’archéologie des lieux, des échanges qui n’atteignent en rien la foi du croyant mais nourrissent son savoir et sa compréhension.
Les images y arrivent moins bien que les discussions, cela ne fait pas l’ombre d’un doute.
Certains magazines ont dédié des pages entières à des témoignages de croyants, parlant chacun de leur foi ou de leur conversion. Sans doute avons-nous quelquefois eu le sentiment que ces paroles nous concernaient au premier plan, c’est le propre du témoignage, une sorte de démonstration exemplaire. Cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à ce qui est véritablement dit dans ces instantanés. Comme le dit souvent le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, les religions doivent donner à penser (cf l’interview si profonde donnée à Martine de Sauto dans La Croix). J’ajouterais le dialogue interreligieux aussi !
L’article sur la Paix intérieure dans La Croix a bien montré la richesse de la diversité de nos traditions. J’ai eu la chance d’y participer, mais en me relisant et en recevant des messages d’amitié de nombreuses personnes, je me suis dit que finalement mes paroles pouvaient laisser penser aux uns que l’essentiel de mes propos portait sur la souffrance rémanente de la Shoah, aux autres que le dialogue interreligieux est un espoir véritable pour nous tous. Je penche évidemment pour le second énoncé.
Nous sommes des habitués du dialogue, nous savons éviter les écueils du langage, expliquer mieux et plus car nous avons choisi de montrer la complexité nécessaire de notre chemin. Quelquefois les mots nous manquent, alors il faut penser plus encore, trouver le mot qui pose question et qui propulse la réflexion, au lieu de faire arrêt sur image et saturation de l’esprit. Voilà peut-être une bonne résolution à partager pour ce début de 2013.
Souhaitons que notre travail soit plus riche encore que ce que nous osons espérer !